Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
La Matière en Mouvement Alexandra Fadin

Chroniques et contes écrits par Alexandra Fadin, danseuse-chorégraphe et artiste plasticienne

Tristan et l'ennui

Tristan et l'ennui

Tristan et l’ennui

Tristan s’ennuyait tellement lorsqu’Ivan n’était pas là qu’il dut un jour prendre une décision radicale pour changer de vie et partir en quête d’activités qui lui permettraient, il l’espérait, de ne plus jamais s’ennuyer.

Tout ce qu’il faisait, il le faisait bien, très bien même, et les autres l’admiraient pour son talent et son courage. Mais qu’est-ce qu’il pouvait bien s’ennuyer, le pauvre!

Et plus il s’ennuyait dans son travail, plus il devenait morose et ennuyeux pour Ivan qui mettait toute sa créativité dans la recherche de prétextes pour s’absenter de la maison et le voir le moins possible. Car, même lorsqu’il dormait, Tristan saupoudrait l’espace autour de lui d’un ennui tenace et contagieux.

Ivan n’en pouvait plus de cette lourdeur. Il étouffait, suffoquait et avait failli partir définitivement à plusieurs reprises.

De son côté, Tristan pouvait rester des heures sans rien faire et ne jamais s’ennuyer une seule seconde lorsqu’il sentait la présence d’Ivan près de lui. Mais il ne savait pas que tout son corps respirait l’ennui et qu’il avait le rare et insolite pouvoir d’ennuyer les autres « à mourir ».

S’il avait pu s’absenter quelques instants de son corps pour se mettre à la place des autres, il aurait compris instantanément ce qu’Ivan endurait jour après jour, nuit après nuit, depuis bientôt trois décennies!

Le cas de Tristan semblait tellement désespéré que personne ne croyait plus qu’il guérirait un jour de cet ennui qui lui collait à la peau comme une anti-vie.

Les gens du village disaient que l’ennui était inscrit en toutes lettres à l’encre indélébile dans son ADN et que seul un miracle serait capable de le sauver.

Un jour, Ivan partit définitivement.

Tristan crut alors qu’il allait mourir instantanément de chagrin.

Sa tristesse fut si grande qu’elle l’occupa jour et nuit et chassa l’ennui à jamais de cette maison qui avait dû vivre un drame pour commencer à se reconstruire.

Après s’être réjoui pendant plusieurs jours et semaines de son absence d’ennui, Tristan commença à ressentir un manque.

Il était tellement occupé et débordé qu’il aurait donné sa vie pour s’ennuyer « à mourir » pendant quelques minutes, en attendant qu’Ivan franchisse de nouveau le seuil de la maison.

 

Alexandra Fadin
(extrait de "Contes Merveilleux du Quotidien", tous droits réservés)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article